Spiritueux : le grand renouveau français
Peu importe la conjoncture, les spiritueux français célèbrent la créativité – et ont même désormais une journée dédiée, le 31 mars ! Dans le sillage des vénérables Cognac et Armagnac, la filière se réinvente, imaginant des vieillissements originaux, des distillations novatrices, et elle promet un voyage dans l’âme des terroirs et paysages de France et de Navarre (et de Bretagne, Camargue, Alpes et d’ailleurs.). Enquête non exhaustive entre alambics et finish.
Du latin " spiritus " qui signifie esprit ou âme, le mot spiritueux serait apparu au Moyen-Age quand la découverte de l’alambic au Xème siècle a permis de distiller le vin et de produire un breuvage auquel on prêtait des vertus thérapeutiques. La Commission Européenne définit aujourd’hui les spiritueux comme une boisson obtenue par distillation ou macération et titrant plus de 15% d’alcool : l’Europe compte 47 catégories et 250 IGP dédiés aux spiritueux !
Avec 700 millions de litres produits par an, la France est 1er producteur de spiritueux en Europe, et peut s’enorgueillir de sa riche Histoire – l’Armagnac est la plus vieille eau-de-vie du monde !, de la diversité des appellations et régions – de Cognac aux Antilles en passant par les Alpes et l’Alsace, mais aussi de sa capacité à réinventer des breuvages ancestraux.
Les spiritueux : entre crise, grandes tendances et innovation
Comme ailleurs, et dans un contexte de crises (conjoncturelles, structurelles, économiques, climatiques, sociétales…), le marché des spiritueux évolue et s’adapte. Ainsi le Laboratoire National du Spiritourisme lancé le 14 avril en Guadeloupe marque la volonté de promouvoir le patrimoine et les savoir-faire liés aux spiritueux et d’en faire un levier d’attractivité touristique. Comme ailleurs, dans les vignobles notamment, le bio gagne du terrain permettant de proposer une gamme de spiritueux “bio” cohabitant dans certaines maisons avec les gammes classiques, comme le Cognac Park VSOP Organic de la Distillerie Tessendier, une maison familiale de 150 ans nichée dans le cru cognacais des Borderies.
Chez Delord, un des gardiens de l’excellence armagnacaise depuis 1893, la 4ème génération vient de planter 5 hectares de Baco en bio et d’installer un tout nouveau chai dédié. Jérôme et Sylvain Delord expérimentent aussi différents alambics mais aussi différents tonneliers pour parfaire encore et toujours leurs Armagnacs d’exception. Car un des autres moyens de réinventer un spiritueux est de le faire voyager et le marier, par fûts interposés, à d’autres arômes, régions et nuances. C’est le concept du “finish” qui va se faire dans un bois parfois venu d’ailleurs – comme le Cognac Park Mizunara vieilli en chêne français puis affiné en fûts de chêne japonais chez Tessendier toujours – ou dans une barrique utilisée pour un autre vin, vin muté, ou autre spiritueux.
La folie des finish
parmi les spiritueux
Le Château de Laubade, domaine familial réputé d’Armagnac, propose ainsi sa Curiosité De l’Adour au Ciron
affinée en barrique de Sauternes Doisy-Daëne. Finish Sauternes aussi pour le Rum d’Arche ou le Whisky d’Arche affinés dans des barriques ayant élevé le Grand Cru du Sauternais.
La Distillerie Tessendier à Cognac a par exemple lancé la gamme des whiskys Arlett. En hommage à leur mère et aux années 50, Jérôme et Lilian ont élaboré un whisky qui a du cran
, en Single Malt ou Blended dans de jolies bouteilles-carafes. Deux Single Malt sont notamment respectivement finis en fût de rhum de Barbade et en fût de Pineau des Charentes pour une expérience aromatique toute en complexité.
En Charente-Maritime, la Distillerie Fontagard est une autre maison de Cognac qui, sous l’impulsion de la 6ème génération de la famille, se diversifie dans le whisky : la collection de Single Malt dotés de noms de code - PNDC 9918-9, STRN 9918-8, STEM 9920-2 - révèle des vieillissements en fûts ayant contenu du Cognac, du Pineau, du Sauternes ou encore du Saint-Emilion. Parfait pour une dégustation comparative !
Riz, maïs, blé noir : les céréales insolites dans les spiritueux français
Si certaines maisons jouent sur les modes de vieillissement, d’autres innovent (aussi) en début de process en introduisant des céréales moins habituelles. Exit l’orge, place au blé noir : tel est le pari bretonnant de la Distillerie des Menhirs, installée dans le vallon de Pont-Menhir dans le Finistère. Cette distillerie familiale, connue pour ses Pommeaux et son Lambig (eau-de-vie de cidre) a lancé en 1999 le premier et seul whisky de pur blé noir (ed-du en breton) au monde ! Leurs whiskys EDDU sont désormais déclinés au fil de Carnets de Voyage, en édition limitée avec escales en Vallée du Rhône, dans le Bordelais ou en Bourgogne pour des finish dans des fûts des vins locaux, mais aussi en Blend, ou vieilli en chêne breton.
Autre recette atypique et locavore : du whisky de riz de Camargue ! La Maison Fluide, créée par deux frères originaires d’Aigues-Mortes, mise en effet sur le riz et a lancé en 2024 la gamme de spiritueux Oruza (riz en grec ancien). Le riz bio du Delta du Rhône sert donc de base pour élaborer un Gin, une Vodka et un Rhum et dernier-né de la maison, Santi Mario, un Moonshine qui pourra bénéficier de l’appellation “whisky” en 2026. Et à Bordeaux, Moon Harbour a lancé le premier whisky à base de maïs malté, baptisé Dock 2 et affiné en fût de Cantenac Brown…
Terroir et alambic : une passion française
Moon Harbour, dont le nom est inspiré du Quai du Port de la Lune sur l’estuaire de la Gironde, est une de ces marques pionnières du renouveau des spiritueux en France. Porté par un passionné, accompagné de quelques collaborations et saupoudré de quelques idées insolites (whisky fumé aux algues…), Moon Harbour est né en 2013 et a installé sa distillerie dans un ancien bunker de la Seconde Guerre Mondiale dans la zone des Bassins à Flots de Bordeaux.
Finish dans des fûts de grands crus bordelais, notamment Sauternes, commercialisation de petits fûts de 3 litres pour faire vieillir le whisky chez soi, lieux événementiels complètent le positionnement de Moon Harbour. En 2014, Twelve, Whisky de l’Aubrac, fut un autre pionnier de ces néo-spiritueux à fort ancrage territorial.
Au coeur de la sauvage Aveyron, 12 amis ont eu l’idée de créer un whisky d’exception, né du basalte et de la tourbe du plateau, distillé et vieilli dans le Presbytère des Anges à Laguiole. Aveyron un jour, Aveyron toujours, le Domaine de la Pèze propose aussi un whisky Single malt paysan rouergat à base d’orge maltée dans le Tarn et distillée dans un alambic gersois.
En Haute-Garonne, la Maison Victors raconte une autre histoire de passion pour le whisky en famille et entre amis : Single malt mais aussi un Rum, des Gin dont un tourbé vieilli en amphore, un pastis et des vermouth sont élaborés tout en s’ouvrant au spiritourisme. Près de Toulouse, la Distillerie Bear Brothers a commencé en 2019 avec une gamme de gin et vodka artisanaux avant de se lancer dans l’aventure du whisky notamment un Double Malt signature de cette jeune maison qui commercialise aussi des tonnelets d’orge maltée.
Dans le Béarn, la Distillerie Labarrère 1773 produit un whisky 100% agricole, élaboré à partir de maïs, orge et seigle produits dans l’exploitation familiale, distillé dans un alambic gersois, élevé dans des fûts fabriqués par un tonnelier landais et vendu sur la propriété. Berceau du Cognac et de l’Armagnac, le sud-ouest renouvelle donc résolument sa tradition spiritueuse en misant sur les savoir-faire locaux mais à l’est, il y a du nouveau aussi, par exemple avec les “Arrangés des Alpes”.
La marque mise sur le sourcing local des abricots, menthe poivrée ou plantes aromatiques mariés au rhum de Marie Galante, et sur des nouveautés telles que Rhum Raisin avec un classement par altitude de ses créations. Un Gin Fizz, un Mojito et autre Spritz prêts à déguster s’inscrivent aussi dans la tendance mixologie. Au pied des Pyrénées, le Gin Acmé aux bourgeons de sapin réunit 12 plantes médicinales et perpétue l’histoire de Thuir, célèbre en son temps pour son quinquina.
Si les régions ont du talent et des idées en matière de spiritueux, Laferté se veut l’incarnation d’un nouveau style de whisky à la Française, un Blended Malt d’assemblage dans une bouteille élégante hommage au Roi Soleil… Et pour finir ce Tour de France par un voyage dans les îles, Clément, emblématique marque de rhum agricole de Martinique, innove avec sa Canne Bleue millésimée et monovariétale, issue d’une canne à sucre très aromatique et présentée dans un packaging renouvelé chaque année. L’histoire des spiritueux français, entre tradition et innovation, continue de s’écrire au fil des régions et des années.
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