
Portrait mère-fille, Carine et Juline Charpentier, vigneronnes à Lussac-Saint-Émilion

Au lendemain de la fête des mères, il nous a semblé naturel de mettre en lumière le lien indicible qui unit Carine et Juline Charpentier. L’une est vigneronne, l’autre marche, avec fougue et créativité, dans les pas de sa maman. Un parcours qui n’a rien d’un long fleuve tranquille, mais c’est peut-être justement ce qui en fait toute la richesse et la passion.
Comment ne pas craquer en voyant Carine et Juline, bras dessus bras dessous, derrière leur stand de dégustation lors du salon Vayres la Dégust' ? Il fallait bien plus qu’un simple cliché pour immortaliser ce moment de complicité mère-fille : l’envie était irrésistible d’en découvrir davantage sur ces deux vigneronnes du Vignoble Charpentier.
Olivier et son épouse Carine incarnent la 4ème génération à révéler les 16 hectares de ce vignoble familial, situé au cœur de l’AOP Lussac-Saint-Émilion, à seulement 8 km de la célèbre et prestigieuse Saint-Émilion.
Nos deux filles, Juline et Lucile, participent depuis leur plus jeune âge à la vie du château. J’ai vite compris que Juline avait le métier de vigneronne dans le sang quand elle jetait son cartable avec empressement pour venir nous retrouver dans les vignes ou au chai
, Carine Charpentier.
Juline s’est tout naturellement orientée vers un bac STAV (Sciences et Technologies de l'Agronomie et du Vivant), pour acquérir une vision globale du monde agricole, avant d’intégrer la MFR de Vayres, où elle poursuit actuellement un BTSA Viticulture-Œnologie.
Portrait croisé d’une jeune vigneronne en devenir, au regard déterminé et pétillant, et d’une vigneronne accomplie, qui donne autant d’amour à son métier qu’à ses filles, en appellation Lussac-Saint-Émilion.

La WINEista : Quand as-tu su que tu voulais te spécialiser dans la filière vin ?
Juline Charpentier : Depuis toujours, depuis toute petite. C’est pour moi une évidence, c’est instinctif.
L.W : Quel est le métier de tes rêves ?
J.C : Reprendre la propriété, être vigneronne à plein temps. J’aimerais compléter ma formation avec le diplôme d’œnologue, pour approfondir la vinification et la théorie du vin. Ensuite, je souhaite m’installer au Vignoble Charpentier en diversifiant la production : élever des brebis et faire du fromage. C’est mon rêve !
L.W : Quel est votre moment préféré de la vigne à la bouteille ?
J.C : La vinification. C’est une période intense, mais c’est là que tout se joue, que le profil du vin se dessine, que le travail de l’année prend tout son sens.
Carine Charpentier : Pour moi, c’est le printemps. Quand la vigne renaît, quand on sélectionne les bourgeons porteurs du prochain millésime. C’est un moment plein de promesses.
L.W : Et celui que vous redoutez le plus ?
J.C : Le printemps aussi... Tout commence, mais tout peut s’arrêter avec une gelée. C’est aussi la période des maladies de la vigne. On dort peu, on reste sur le qui-vive.
C.C : Pour ma part, c’est février, la saison des salons. C’est un moment décisif : la pérennité du domaine se joue aussi lors de la commercialisation.
L.W : En quoi l’appellation Lussac-Saint-Émilion se distingue-t-elle de la célèbre Saint-Émilion ?
J.C : À Lussac, on est des gens de terroir, authentiques. Il y a une majorité de domaines familiaux. On suit le même cahier des charges que Saint-Émilion, on fait des vins de qualité, à des prix raisonnables. Ici, pas de folie des grandeurs !
L.W : Pourriez-vous faire du vin ailleurs qu’ici ?
J.C et C.C (à l’unisson) : Non ! On est profondément attachées à notre village de Jamard et à nos terroirs. Le vin, pour nous, c’est ici et nulle part ailleurs.
L.W : Est-ce plus difficile d’évoluer dans la filière vin quand on est une femme ?
J.C : Oui. On est souvent mises de côté, cantonnées à des tâches moins intéressantes, notamment au vignoble.
C.C : C’était encore plus vrai il y a quelques années. Aujourd’hui, les femmes sont reconnues au chai, mais il reste du chemin à faire à la vigne.

Cab ou pas Cab, la cuvée 100% Cabernet du Vignoble Charpentier - Crédit photo : Vignoble Charpentier
L.W : Quelle est votre cuvée préférée du Château Haut-Jamard ?
J.C : La dernière née : Cab ou pas Cab
. Un 100% Cabernet Sauvignon et Cabernet Franc, élevé en amphore. Une vraie collaboration familiale, intergénérationnelle. Elle est atypique pour Saint-Émilion, où le Merlot est roi. C’est un vin frais, aux tanins veloutés, gourmand, croquant de petits fruits rouges. Il plaît autant aux jeunes qu’aux amateurs plus classiques.
L.W : Pour quel moment de vie ? Avec quel plat ?
J.C : Quand on a juste envie de se faire plaisir !
L.W : Si vous étiez un cépage, lequel seriez-vous ?
J.C : Le Merlot, le cépage emblématique de l’appellation. Il est maniable, capable de produire des vins structurés comme des vins rouges gouleyants, selon la manière dont on le cultive et le vinifie. On a même élaboré un vin blanc de noirs à partir de Merlot.
L.W : Les jeunes de 18 à 25 ans aiment-ils le vin ?
J.C : Ils ont été un peu découragés... Le vin est perçu comme cher, compliqué, réservé aux connaisseurs. A Bordeaux, on l’a trop intellectualisé.
L.W : Comment leur redonner goût au vin ?
J.C : En le décoinçant
, en le rendant plus accessible. Il faut changer la manière dont on en parle, communiquer autrement.
L.W : Que diriez-vous à un client qui dénigre les vins de Bordeaux ?
C.C : Venez goûter, vous changerez d’avis ! Les vins de Bordeaux ont évolué. Il faut simplement que les consommateurs s’en rendent compte.
L.W : Si je vous dis partir en vrille
, cela vous évoque quoi ?
C.C : On est très cartésiens dans la famille, on a les pieds sur terre. Mais pour moi, partir en vrille
, ce serait oser : sortir des sentiers battus, expérimenter de nouveaux cépages, tenter d’autres méthodes de vinification...
Le hasard nous a réunies sur un salon des vins... Votre complicité et votre passion m’ont touchée. Longue vie au Vignoble Charpentier !
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