Elaboration et dégustation de vin : jusqu'où ira l'intelligence artificielle

Sans palais ni émotion, l’intelligence artificielle (IA) s’invite dans l’univers sensible du vin. Pour guider le choix de cuvées, commenter une dégustation, analyser un vin, conseiller son assemblage, l’IA ouvre des perspectives tout autant qu’elle questionne. Démonstration avec 3 outils dédiés au vin.

En mars 2025, en marge du Championnat de France de dégustation à l’aveugle, une expérience inédite s’est tenue : elle opposait "Deep Red" – le modèle d’identification des vins développé par M&Wine – et 11 dégustateurs chevronnés. L’objectif ? Décrire l’origine de 12 cuvées, à l’aveugle. Deep Red l’a emporté, s’appuyant sur une base de données ayant permis l’apprentissage du modèle prédictif.

ADN du vin : une IA basée sur la composition minérale du vin

Depuis 2021, la start-up M&Wine hébergée par l’Institut des Sciences Analytiques à Lyon s’est spécialisée dans une approche rigoureuse fondée sur une nouvelle donnée scientifique : la composition minérale du vin. Le profil minéral est au cœur de notre modèle d’intelligence artificielle. Il est constitué de plus de 40 éléments naturellement présents dans le vin. C’est une donnée à la fois riche, fiable et corrélable à une multitude de métadonnées œnologiques et sensorielles. C’est cette profondeur d’analyse qui manquait jusqu’ici à la filière pour tirer un véritable bénéfice de l’IA, explique Théodore Tillement, directeur de M&Wine.

M&Wine a déjà constitué une base de plus de 40 000 profils minéraux de vins. Pour chaque vin, 40 concentrations élémentaires sont mesurées (fer, calcium, potassium, etc.), auxquelles s’ajoute une série de métadonnées : origine géographique, pratiques de vinification, cépages, millésime et surtout des indicateurs de Qualité, définis à partir de scores, critères sensoriels, analytiques et professionnels. Les performances incroyables de cette approche offrent de multiples perspectives aux entrepreneurs et à la filière. Cet outil, par exemple, est au service des maisons de négoce qui veulent s’assurer de l’origine et de l’authenticité des vins. Il peut servir aux grandes maisons qui cherchent à créer un nouveau profil de cuvée similaire à une qualité souhaitée. C’est aussi une aide à la décision pour les œnologues, termine l’expert.

Car l'intelligence artificielle peut les accompagner dans leurs choix d’assemblages ! Grâce aux profils minéraux de plusieurs cuves et à une base de données riche en données Qualité, un modèle d’IA propose des combinaisons cohérentes avec un style ciblé. L’idée d’IAssemblage n’est pas de remplacer l’œnologue, mais de lui fournir un outil d’aide à la décision pour gagner en précision et en cohérence, ajoute Théodore Tillement. L’œnologue reste maître. Mais il gagne en précision, en efficacité et en capacité d’exploration.

L’IA ne remplace pas la sensorialité humaine, elle augmente l’expérience des consommateurs

Laurent Barrere, CEO de la société VinR s’est intéressé de très près, après avoir lancé des coffrets de dégustation immersive, à l’IA en 2023 en développant une première version de VinGPT sur la plateforme OpenAI. Lorsque la plateforme est devenue gratuite, on a entraîné l’intelligence de base de l’IA au vin, tout en donnant lui la personnalité de notre entreprise, afin qu’elle aide les gens à obtenir des informations clés, commence L. Barrere.

Tel un assistant œnologique, l’outil qui se télécharge sur l’application OpenAI, recommande des vins en fonction des plats, des cépages, des appellations ou des régions. On peut lui poser des questions, lui envoyer des photos de bouteilles lorsque l’on hésite entre 3 vins et il nous conseille, explique Laurent Barrere.

Cette intelligence artificielle, formée à l’univers du vin, est gratuite. Pour rentabiliser son modèle, l’entrepreneur l’a aussi entraînée à proposer aux gens les coffrets de vins qu’il commercialise. De plus, on est en train d’intégrer VinGPT dans une toute nouvelle plateforme qui fera le lien entre les producteurs et les consommateurs. Les producteurs pourront souscrire à notre offre, apposer un QR code sur leurs flacons. Grâce à lui, on accèdera à expériences de dégustations immersives, les gens pourront commenter le vin et les données seront transmises aux vignerons afin qu’ils connaissent mieux leurs clients. C’est un exemple d’intégration de l’IA dans un contexte ludique pour booster la vente directe, détaille Laurent Barrere. Si l’IA peut apporter des informations, analyser, conseiller : dans ce cas précis, la limite à ses fonctions reste sensiblement humaine. Bien sûr, l’IA ne remplace pas la sensorialité humaine, elle augmente juste l’expérience des consommateurs. On aura toujours besoin de goûter, de vérifier, de la même manière que l’on vérifie les données fournies par l’IA. C’est simplement un outil qui peut aider à soutenir la filière viticole, termine l’expert.

Des commentaires de dégustation fiables rédigés par l’intelligence artificielle ?

Il y a 8 ans, la société Winespace spécialisée dans le vin et, plus précisément, dans l’analyse des données textuelles transformées en données numériques, s’est donnée pour ambition de révolutionner la création de contenu œnologique avec Tastee AI. On a appris à notre outil à analyser des commentaires de dégustation textuels à en extraire les concepts aromatiques et gustatifs d’intérêt, à pondérer des notions d’intensité et de qualité. L’ensemble est réparti dans un immense tableau scindé en dizaines de milliers de colonnes qui représentent les caractéristiques du goût d’un vin, commence Julien Laithier, président et cofondateur de Winespace.

Lorsque la donnée textuelle du commentaire d’un dégustateur à une période T sur une cuvée X est récoltée puis transformée en donnée numérique, elle est multipliée par des millions d’autres pour aboutir à une vision objective, datée, du goût moyen d’un vin.

On obtient une donnée numérique : un avis fiable, consolidé par une somme d’avis, qui permet de créer un profil aromatique, un radar de bouche. On peut ainsi créer des contenus automatiques sur tous les marchés du vin, explique l’entrepreneur. Une technologie qui a de quoi faire frémir les créateurs de contenus les plus aguerris ? Mais pas les dégustateurs qui nous fournissent la matière indispensable au processus !, tempère Julien Laithier.

Concrètement, quelles sont les applications de Tastee AI ? Lors des concours de dégustation, comme le Concours Mondial de Bruxelles, qui génère 100 000 commentaires par an, on peut adresser aux producteurs un rapport de dégustation précis qui justifie la perception de leur vin. Des écoles aussi l’utilisent en pédagogie pour recréer le profil aromatique complet d’une cuvée à partir de leurs commentaires de dégustation à l’aveugle. On propose aux producteurs et négociants d’acheter notre contenu pour enrichir le leur ou réactualiser un commentaire de dégustation daté sur une plateforme numérique. Les cavistes aussi peuvent y avoir recours pour remettre à jour leurs fiches produits, termine J. Laithier.

Ces initiatives, parmi de multiples, prouvent la puissance de l’IA, à condition qu’elle soit utilisée comme support, et non comme fondement.

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