
Comment les vignerons en biodynamie font-ils communauté ?

Christelle Pineau est anthropologue et s’est plongée dans le milieu des vignerons qui ont choisi la biodynamie et la vinification sans intrant, dite nature
. De son immersion totale, elle a tracé dans un livre, La corne de vache et le microscope
, les contours d’une communauté qui nous permet de mieux cerner les convictions de ces choix agricoles.
Maylis Détrie : Comment avez vous abordé ce milieu
du vin ?
Christelle Pineau : Je l’ai abordé par le biais de l’anthropologie de la nature et des natures avec tous les paradoxes du contenant dit nature
. En avançant avec ce terme polysémique, je suis partie à la rencontre des vignerons de plusieurs régions de France qui ont fait des choix, certains depuis les années 80, jusqu’à maintenant. Très schématiquement, ces personnes sont entrées dans l’univers de la biodynamie par plusieurs biais : le premier est d’être issu de familles agricoles, qui à un moment donné, ont changé de pratique à cause des maladies liées à la vigne et aux produits utilisés. De là, ils ont fait, au fil du temps, leur propre révolution culturale et culturelle. Le 2ème profil est celui des néo ruraux qui ont changé de voie, de profession et arrivent directement avec une idée précise de ce qu’ils veulent.
MD : Comment ensuite devient-on un vigneron en biodynamie et en méthode nature
?
CP : Il n’y a pas d’école de vin naturel. Leur savoir se construit grâce à une forme de compagnonnage chez ceux qui leur apprennent. Cela prend la forme d’interventions ponctuelles ou parfois de quelques modules dans leur formation école mais pour aller plus loin l’enseignement, ils passent par la localité et la transmission entre paires. Dans ma façon de voir les choses, on parle d’une filière unique viti-vinicole avec des façons différentes d’être en interaction avec le milieu naturel.
MD : Qu’est-ce que le milieu du vin nature a de si particulier qui est lié à sa pratique ?
CP : Leur vision se démarque d’une certaine pensée occidentale classique qui est de ne pas considérer la nature comme un lieu où l’on va puiser une ressource mais comme une alliée avec laquelle on est en lien constant. Leur regard est façonné par le fait de chercher à entrer en symbiose avec elle plutôt que d’en être un prédateur ou de la dominer. En ce moment, il y a une grande visibilité de ces vins inversement au nombre qu’ils sont, ça a renforcé un agacement très fort du milieu conventionnel. Avant, on était sûr de reconnaître une étiquette de vin nature par sa poésie, son humour etc... Cela dénotait (lire notre article : Faut-il se méfier des étiquettes extravagantes ?). Depuis quelques années, les conventionnels ont compris que c’était plus attractif et ils sèment le doute.
MD : Est-ce que le fait de faire du vin nature n’est pas aussi lié à une réalité économique qui fait que certains peuvent se le permettent et d’autres non ?
CP : C’est en partie vrai et faux. Une personne qui débute sans assise financière et sans autre ressource prend un risque conséquent. Une fois qu’on a dit ça, dans la grande majorité des cas, les personnes qui vont vers cette pratique ne le font pas dans un objectif de pur rendement . Ils sont évidemment marchands et ont besoin de vendre mais quand on arrive à faire des vins comme ça c’est qu’il y a eu un cheminement. Il faut trouver des parades pour lutter contre les maladies. C’est un acte engagé fort qui peut être appréhendé comme politique par rapport à la vision du monde qui est portée. Ils ont une acceptation du risque comme faisant partie de leur engagement. Beaucoup préfèreraient cesser leur activité que de revenir à mettre des produits.
MD : Comment les femmes ont-elles pris leur place dans ce mouvement ?
CP : Il faut avancer dans ce sujet avec une grande prudence et beaucoup de nuances. Pour des raisons de dépassement de frontières en tout genre, d’un point de vue du rapport de domination à la nature, on peut éventuellement dire qu’elles ont davantage de facilité à intégrer ces pratiques. Mais il ne faut pas essentialiser non plus la liaison femme, nature, terre nourricière. Ce que je peux souligner est que les façons de penser dans ce milieu peuvent être plus attirantes et plus sécurisantes. Il est peut-être plus inclusif mais encore une fois avec beaucoup de nuances.
MD : Quelle a été votre approche pour dessiner ce portrait des vignerons et vigneronnes rencontrés ?
CP : En tant que chercheur on est pris dans notre sujet et parfois on est plus ou moins lucides sur les fonctionnements de notre lieu d’étude. C’est pour ça que je suis allée dans les vignes moi-même. J’ai fondé un petit domaine viticole pendant 3 ans avec une recherche action : j’ai fait une conversion en agrobiologie et une vinification avec des méthodes naturelles. J’ai expérimenté la relation aux autres, le sensible, le rapport au risque, ma capacité à assumer cette pratique, l’engagement économique qu’elle induit. L’urgence du vivant je l’ai ressentie par moi-même. Quand je travaillais dans mes vignes, je n’arrêtais pas de penser à des bribes d’entretien. Cela m’a permis de ressentir et préciser les choses pour les réévaluer.
MD : Qu’est ce qui vous a le plus marqué dans votre recherche ?
Le plus marquant est la capacité de ce groupe à s’ouvrir à d’autres modes d’action, d’autres façons de penser et donc à l’altérité. Accepter le risque pour la défense du milieu naturel, pour des modèles qui dépassent le plaisir de boire un vin nature, c’est un engagement pour la communauté des vivants. Le fait de n’être jamais complètement sûr de soi et de se remettre en question, en allant chercher ailleurs des tentatives de résolution de problèmes. C’est quelque chose qui les rassemble. Cela m’a émue. C’est pour cela que je les appelle les vignerons chercheurs
qui œuvrent pour eux et pour le bien de la communauté.
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