Comment la génétique raconte-t-elle l’histoire de la vigne ?

Comment la génétique raconte-t-elle l’histoire de la vigne ?

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Didier Merdinoglu est généticien de la vigne : il étudie et cherche les gènes qui gouvernent certains caractères importants de la plante vitis vinifera. L’objectif : réduire l’usage des intrants dans la viticulture et s’adapter au changement climatique. Si l’on remonte le fil, comment la génétique raconte-t-telle l’histoire de la vigne ?

Maylis Détrie : Comment a-t-on découvert la génétique du vin ?

Didier Merdinoglu : On s’est intéressé à la génétique du vin quasiment depuis que la génétique existe, c’est à dire depuis le début 20ème siècle. Mais c’est au cours de ce siècle qu’il y a eu une accélération incroyable des connaissances notamment en 2007, quand le génome de la vigne a été séquencé pour la 1ère fois. La France et l’Italie avaient décidé de mettre en commun leurs efforts pour mobiliser un consortium d’une cinquantaine de laboratoires pour décrire tout l’ADN de la vigne de A à Z.

MD : Quand commence l’histoire de la vigne ?

DM : On a des premières traces archéologiques de la famille des vitacées (la grande famille de toutes les vignes) il y a 60 millions d’années. L’autre date importante est celle du néolithique, il y a environ 8000 ans : c’est là où la majorité des cultures que l’on connait actuellement ont été domestiquées : l’espèce Sylvestris dans le Caucase, a permis de passer de la vigne sauvage à la vigne cultivée : on passe d’une liane installée dans les arbres qui donne de petites baies hétérogènes à une vigne qui pousse en grosses baies de manière homogène. On passe des chasseurs cueilleurs à la sédentarisation et à la mise en place de l’agriculture.

Lire aussi notre article : Vitis vinifera : l’origine du vin.

MD : Et ensuite ?

DM : Les vignes ont voyagé par le nord ou sud de la Méditerranée et par le Danube. Les vignes sauvages locales ont alors été croisées avec les vignes cultivées. On observe actuellement 5000 à 6000 cépages, fruit de toute une histoire construite à l’insu des gens. Mais à la fin du 19ème siècle, la catastrophe arrive. 1847, l’oïdium, 1868, le phylloxéra et 1878, le mildiou. Ces maladies sont arrivées des Etats unis avec les expéditions botaniques. C’est la mondialisation qui commence en quelque sorte. Le Phylloxera amène à arracher 2 millions d’hectares sur 2 millions 300 hectares. Après, il a fallu reconstruire par 3 biais : des solutions chimiques, agronomiques et puis des solutions génétiques. Aujourd’hui, c’est cette dernière option qui l’a emporté sur les autres avec l’utilisation des porte greffe américains. Pour les 2 autres maladies, l’oïdium et le mildiou, la voie chimique a été adoptée après les années 50.

MD : En quoi vitis vinifera est-elle si particulière ?

DM : Les vignes sauvages sont dioïques : il y a des mâles et des femelles qui peuvent se croiser mais de manière générale, les genres sont séparés. La vigne cultivée, elle, est hermaphrodite : la plante s’auto féconde, elle peut donc aussi faire des fécondations croisées avec d’autres cépages. C’est pareil pour le blé sauvage. Quand l’épi est mûr, les graines tombent, il sème ces propres graines et se reproduit. Mais pour l’agriculteur, ce n’est pas intéressant. Les humains ont donc sélectionné progressivement des blés qui gardaient leurs graines comme ils ont choisi la variété de vigne qui savait se reproduire par elle-même.

MD : Que nous apprend le séquençage du génome de la vigne ?

DM : On a une vision de tous les gènes et surtout de leur position sur le génome. C’est comme si vous aviez une carte routière avec la position de tous les villes et villages et leur orientation. Pour certains, on ne sait pas encore ce qu’ils font (on ne peut rien observer de visible ou personne ne s’y est encore intéressé). Pour les autres, ceux dont on connaît les fonctions, ils ont été comparés à une espèce modèle, l’Arabidopsis thaliana, dont on a tout le génome et les ressources nécessaires. On établit des cartes génétiques, on dessine de façon formelle les chromosomes avec des marques génétiques que l’on dispose sur les bâtons.

MD : Quelle est la méthode pour trouver une fonction ?

DM : Pour connaître la fonction d’un gène, on va le muter (l’éteindre ou l’allumer) et regarder ce qui se passe au niveau de la plante. L’idée de mon travail est de définir les régions qui sont importantes pour la résistance aux maladies. On a trouvé le premier gène que l’on a appelé RPV1 et on sait où se situe son marqueur. Dans les croisements, on va retrouver ce trait de résistance. On cherche sa position et ensuite, on fait de la validation fonctionnelle : on l’extraie, on le transfère sur une plante qui ne comporte pas ce caractère initial.

MD : Je crois que vous avez fait le même travail sur les arômes ?

DM : Oui, on s’est intéressé aux arômes muscatés avec le même processus. On pouvait ne trouver aucun arôme ou des quantités phénoménales. En utilisant les données et en projetant la région génétique du génome, on a mis en évidence le gène DXS.

MD : A quoi sert finalement ce genre de travail ?

DM : Mieux comprendre les traits. Dans le cas des arômes, on sait maintenant que des mutations de ce gène existent dans d’autres cépages que le muscat. On peut envisager de créer de nouveaux cépages et de leur donner un caractère qui n’existe pas initialement.

MD : Cela peut être controversé non ?

DM : L’idée de faire des vignes OGM pour rendre le cabernet franc résistant à telle ou telle maladie est pour moi une mauvaise idée. Les vignes actuelles n’ont pas une identité génétique unique, pour beaucoup, ce sont des chimères faites de plusieurs juxtapositions cellulaires, de couches cellulaires. On a donc de grandes chances de ne pas retrouver le cépage d’origine. Aujourd’hui, on connaît deux gènes de résistance au mildiou, sur une trentaine de gènes de résistance. Cette voie a l’air séduisante mais elle n’exploite pas du tout une diversité génétique suffisante.

MD : Quelle est donc la solution ?

DM : On fait de la recherche pour que ce soit utile. Si personne n’en veut, c’est dommage. Quand on crée des nouvelles variétés avec des caractéristiques résistantes, on peut leur ajouter des caractéristiques aromatiques qu’elles n’ont pas au départ et là on arrive à quelque chose. On a actuellement une dizaine de variétés inscrites au catalogue qui sont commercialisées. On a déjà pu tisser une douzaine de collaboration avec les régions qui ont leur propres programmes. Les premières variétés sont attendues en 2030. Ensuite il faudra les vérifier, les enregistrer, autoriser leur mise sur le marché. Il y a encore du travail !

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